Made with racontr.com

« Une scène d’amour au cinéma, c’est plus simple à mettre en oeuvre qu’en réalité »


Il marche d’un pas assuré, ukulélé à la main. Pousse en premier la porte du café, impose le tutoiement, commande un thé vert puis pose son bras sur le dossier de la chaise à sa droite, à l’aise. Jean-Baptiste Levaillant est jeune acteur, et cela se voit. Sorti il y a un an du cours Muller, déjà au cinéma et prochainement sur France 2, il expose sa vision de la scène d’amour, tant redoutée par les bizuts du métier. Et comme sur scène, il parle fort. À plusieurs reprises, des clients vont se retourner pour le regarder, intrigués par cet ovni de 20 ans qui parle si haut de sujets en dessous de la ceinture. Un sujet sensible mais tellement important, parce que le sexe au cinéma, passée la gêne, est avant tout « un moyen de découvrir la vie. »

alt

As-tu déjà fait une scène de sexe ?


Je n’ai pas fait de scène de sexe filmée du début à la fin, mais des scènes d’amour où on voit que je rentre dans le lit, ouais ! J’ai aussi déjà fait du nu, mais pas frontal. Des scènes d’amour où tu vois vraiment ce qu’il se passe, au degré le plus intime, il y en a peu d’ailleurs. Je pense à La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche où là c’est vraiment extrême. Peu, mais de plus en plus.


Comment est-ce que l’on y va ? C’est au feeling ?


Il faut y aller ! C’est exactement ça, on s’assume, quoi. La caméra t’aide plus qu’elle ne fait peur, elle t’aide à y aller. Comprends, le regard des gens est différent que si tu te mettais nu dans la rue : tout le monde se demanderait « mais qu’est ce qu’il fait ? » Alors que là t’assumes ce que tu fais, c’est un rôle. C’est toi, mais tu es aussi quelqu’un dans une situation.

On peut avoir peur du regard des autres ?


Tu ne peux pas. La situation, tout le monde la connait. Tout le monde sait pourquoi tu es là et ce que tu vas faire. Quand on tourne une scène de cul c’est en général en équipe réduite, pour que ce soit plus intime entre les deux personnes - ou plus, s’il y en a plus. Mais il y a toujours le réalisateur et l’assistant qui sont là à te regarder.


C’est quoi les coulisses à ce moment ? Qui est sur le plateau ?


Les acteurs, le réalisateur derrière la caméra, le chef opérateur qui filme et quelques membres de l’équipe technique. Le son est même parfois refait en post-production, on se double sans que l’on fasse l’action. Tout le reste sort ! J’ai tourné une scène avec une fille de mon âge, et les filles ont encore une vision différente. Je pense que… (il souffle) je ne voudrais pas faire de féminisme ou quoi. Non je pense qu’elles le vivent comme les mecs. Ce qui est marrant à chaque fois, c’est que tu as les techniciens qui te disent : « c’est marrant parce que sur un plan je t’ai vu, tu l’as embrassé, puis tu lui as mis la main sur les fesses, puis sur son sein… » chacun voit ce que tu fais alors que toi tu es dans ta scène d’amour, tu la vis, tu ne la joue pas. C’est du simulé et du non simulé. 


C’est gênant ?


(Il réfléchit) C’est marrant parce que j’ai tourné un court-métrage cet été, et après une scène de baiser la fille me dit à la fin : « à chaque fois que je fais des scènes d’amour ou que j’embrasse un autre mec, je pense à mon mec de tous les jours. » Un bon comédien sait mettre sa vie privée de côté. Je pense que physiquement il n’y a aucun problème : quand tu t’assumes, tu t’assumes. Le problème se pose plus avec ta conscience, tout simplement : « mince j’ai une copine, mince mes parents vont me voir en train de… », tu vois ? Encore que moi ça ne me dérange pas, j’ai aucun souci à me mettre nu devant la caméra. Toucher une autre femme, ça ne me dérange pas si c’est assumé. Le petit hic c’est de se dire « ah punaise il y a des gens qui vont me regarder ». Ma famille aura ce petit truc quand ils vont regarder : « ah oui d’accord, mon fils est en train de…c’est peut-être la seule fois où on le verra en train de faire l’amour. » (rires)


Est-ce que dans ta formation théâtrale on prépare les comédiens aux scènes de sexe ?


On n’a pas appris à faire l’amour à l’école, ou même devant une caméra, ou au théâtre, mais tu apprends à te libérer. Même si tu es cadré, même si tu as des règles à prendre en compte, il faut être libre. Une scène d’amour au cinéma c’est personnellement plus simple à mettre en oeuvre qu’en réalité. Être nu devant la caméra c’est plus simple que dans la vraie vie, tu es plus libre, il y a moins d’appréhension.




Ça peut paraître étonnant, ce n’est pas le cas pour tout le monde…


En général quand tu n’as pas de problèmes et que tu assumes qui tu es et ce que tu fais, te mettre nu et faire l’amour à je ne sais pas qui, il n’y a pas de problème. 


Quand on vient du théâtre comme toi, on doit avoir un rapport encore plus étranger avec la scène de sexe…



Il y a toujours un rapport avec ce thème de liberté. Au cinéma tu es toujours cadré, il y a un réalisateur qui te dit « coupé c’est pas bon ». Juste le cadre de la caméra : il faut pas que t’ailles à droite, pas que t’ailles à gauche, faut pas que tu parles trop fort, pas que tu parles trop bas, que tu te mettes à la lumière…le cinéma requiert vachement de règles par rapport au théâtre et ton jeu est beaucoup plus structuré. Au théâtre, une fois que tu montes sur scène tu as 2h où tu te libères comme tu veux. Là je suis allé voir Phèdre au Théâtre de l’Odéon, une pièce avec Isabelle Huppert. Ils font pas l’amour sur scène mais il y a beaucoup de nu, ça se libère, ça se démocratise. Il y en a de plus en plus.

On est obligé de mettre un peu de soi-même, un peu de vérité dans une scène de sexe ?


Oui, pour en revenir à (Abdellatif) Kechiche et La Vie d’Adèle, il y a plein d’anecdotes de tournage où il disait que sur ces plans-là, elles le faisaient vraiment, c’était pas du simulé. Et c’est ce qui marche dans le film. Mais que ce soit une scène d’amour, d’action ou d’aventure, au cinéma tu es obligé de mettre de la vérité sinon ça ne marche pas. Pareil au théâtre.


Est-ce qu’il ne faut pas être excité pour que ce soit crédible ?


Mais bien sûr qu’il faut un minimum. Je suis allé voir il y a deux semaines Quand on a 17 ans d’André Téchiné, avec deux jeunes qui jouent deux homos. Il y a une scène où tu vois tout, ils font l’amour du début à la fin. On va parler clairement : les mecs ils sont en érection, ils ont la gaule. Ils vivent le truc quoi ! Et je pense que c’est normal.

On pourrait avoir l’impression que c’est le seul domaine où les acteurs se retrouvent lâchés dans la nature sans réelles instructions. C’est un fait ou c’est plus chorégraphié qu’on ne le croit ? 


Ça dépend des réalisateurs. Pour celle avec laquelle j’ai tourné cet été, elle nous laissait faire. Si ça ne va pas et qu’elle voit qu’on est gênés, elle nous reprend. Mais je pense qu’un « réal » qui te dit comment faire une scène d’amour, c’est mauvais. Il y a une osmose entre les deux personnes qui peut ressortir dès le premier plan sans rien n’avoir travaillé avant. Ce sont les acteurs qui vont faire vivre la scène. Et pour le coup pour la faire vivre, il faut le faire comme tu le sens. C’est comme si toi tu le faisais là chez toi, et il y a un gars qui te dit « non c’est pas comme ça, il faut plus embrasser la fille comme ça… » non, c’est pas possible.


Pourtant Kéchiche qui était très dur avec ses actrices a réussi à les libérer !


Oui c’est vrai, mais je pense que Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos étaient des filles qui s’étaient rencontrées bien avant. Ça aide. La préparation aide pour se libérer entre nous. Même au HMC (habillage, maquillage, coiffure au cinéma, ndlr), dans les loges avec les autres comédiens tu discutes de tout et de rien, ça aide à sympathiser avant n’importe quelle scène. Je pense que si tu arrives sur le plateau et que tu ne connais pas la fille, là c’est plus compliqué. 

Il y a deux catégories d’acteurs : les belles gueules, Belmondo, Delon, et les autres, les Michel Blanc qui ne couchent jamais : il faut être beau pour avoir des scènes de sexe au ciné ? 


Je dirais plutôt qu’il faut être charmant. Attirant, mais pas forcément physiquement. Belmondo et Delon dégagent une beauté physique avant tout, même quand tu les entends jouer, ils sont beaux dans leur manière de parler. Mais Michel Blanc se sert de sa répartie. Il faut avoir du charme pour être acteur.


Oui enfin Michel Blanc a toujours représenté ce type chauve, invisible aux yeux des femmes, il a rarement eu l’honneur de faire des scènes de sexe…il n’y aurait pas un petit monopole des apollons ?


Le public a envie de voir des beaux muscles, des belles filles les seins à l’air…le réalisateur s’adapte à ça, si tu veux. Il en profite pour que son film marche. Aujourd’hui si tu fais un film sans sexe, où il n'y a même pas un mec torse nu et une fille qui a son chemisier ouvert où on voit un peu ses seins, bah ça fait un peu film naze, quoi. Tout part du public, de ses envies. À choisir entre Delon et Michel Blanc nu, oui, il choisit Delon. Après j’ai vu des films où les actrices n’étaient pas superbes mais leurs scènes d’amour magnifiques. Dans Le Dernier Tango à Paris, c’est tourné là, un peu plus loin à Bir-Hakeim (il pointe la Tour Eiffel), Marlon Brando est vieux, c’est son dernier rôle. Et rien qu’avec son nom : « Marlon Brando nu dans un film », on va le voir. Il y a le nom et le physique, oui. C’est vrai. Tu as raison, peut-être que ça joue un peu. Mais je pense que l’acteur moche saura jouer de son charme intérieur pour une scène de cul alors qu’un acteur beau va plus rapidement mettre en valeur son corps.

Peut-on aussi voir le cinéma comme un biais pour découvrir la sexualité quand on est jeune ?


En tant que spectateur, oui carrément. C’est même un moyen de découvrir la vie. J’adore le cinéma depuis que je suis tout petit. Aujourd’hui on est à Paris, moi Paris je l’ai découvert grâce au cinéma. Quand tu peux découvrir une ville avec le cinéma, la guerre avec le cinéma, l’amour au sens général, tu peux découvrir le sexe au cinéma, bien sûr. Alors quand il y a des glandus qui interdisent des films géniaux aux moins de 18 ans, 16 ans, c’est peut-être dommage.


Si en sortant de ce café tu croises Lars Von Trier dans la rue et qu’il te propose un premier rôle dans Nymphomaniac 3 avec Charlotte Gainsbourg et des scènes de sexe non simulées : tu réfléchis ou banco ?


Ouais ! Si Lars Von Trier sort dans la rue je dirai oui, sans problème. Gainsbourg elle a un mari - Yvan Attal - elle a des gosses. Si elle le fait c’est qu’elle lui en a parlé, ou bien il va découvrir que c’était non simulé et il va faire « putain, merde ! ». Si tu es assez ouvert d’esprit il n’y a aucun problème.


Qu’est ce que tu penses des ponts faits avec des acteurs pornos qui passent au cinéma comme James Deen (The Canyons de Paul Schrader, avec Lindsay Lohan, sorti en 2013, ndlr) ? On peut être acteur quand on ne sait faire que des scènes de sexe ? 

 

(Rires) Je pense plutôt l’inverse. Tu peux avoir une formation de véritable acteur et faire des films de cul mais dans l’autre sens, pour en avoir regardé un peu…c’est naze quoi. C’est très très mauvais. Un film érotique c’est naze. Un bon acteur ne sera pas gêné, c’est la base de notre métier, c’est ce qu’on apprend : tout ce que tu dis tout ce que tu fais, tu l’assumes (il tape du poing sur la table). Enfin l’idéal pour une scène de sexe ça reste un one-shot. Surtout quand c’est non simulé (rires).

 

Et au fait, comment ça s’est terminé cette première scène de nu ?

 

Il faisait froid, c’était dehors (rires). Au début on devait aller se baigner dans l’eau tout nus. Au final c’est un pote à moi qui est allé donc très bien, je me les suis pas caillé. C’était sur une plage autour d’un lac en Bretagne, fin septembre. Comment je me suis senti ? Bah écoute bien. Ça fait parti du job. Je pense que l’acteur qui dit « je ne ferai jamais de scène d’amour, j’ai une famille à respecter, des enfants… » non non, il a raté sa carrière. Impossible. 

 

 

À retrouver cet été dans L’Accident, sur France 2, avec Bruno Solo.

 

Propos receuillis par Théo Denmat

© affiche du film le dernier tango À paris de bernardo bertolucci 

alt

« Les techniciens me disent : "Tu lui as mis la main sur les fesses, puis sur son sein…" chacun voit ce que tu fais alors que toi tu es dans ta scène d’amour, tu la vis, tu ne la joues pas. »

« Je suis allé voir Quand on a 17 ans d’André Téchiné… On va parler clairement : les mecs ils sont en érection, ils ont la gaule. Ils vivent le truc quoi ! »

Les Chaises musicales (2014), de Marie Belhomme, dans lequel Jean-Baptiste jouait un élève de la classe de musique dirigée par Isabelle Carré

« Un film érotique, c’est naze. »

alt

jean-baptiste aime les scènes de uke

thomas dutronc


« Dans Le Dernier Tango à Paris, Marlon Brando est vieux, c’est son dernier rôle. Et rien qu’avec son nom : “Marlon Brando nu dans un film”, on va le voir. »

alt
alt
alt