« La plupart d’entre nous, surtout l’ancienne génération, ont découvert le sexe au cinéma. Comment on embrasse ? Comment on touche ? Comment on caresse ? »

Esprits mal tournés 

La notoriété des acteurs : un facteur clé

 Ces scènes façonnent notre personnalité sexuelle 

La main sur la vitre embuée dans Titanic, le strip-tease de Kim Basinger dans 9 semaines 1/2, le 69 de Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos dans La Vie d’Adèle... Nous avons tous en tête une scène de sexe qui nous a plus marqué que les autres. Mais pourquoi ? Quels sont les mécanismes qui régissent notre cortex ? Quelles sont les caractéristiques de ces morceaux d’histoire du cinéma ? Surtout, existe-t-il un petit manuel de la scène de sexe mémorable ? Explications auprès de ceux qui les font, et qui les regardent. 

La musique comme facteur X

« Pour faire une bonne scène de sexe, il n’y a pas de recette miracle. Mais il y a en revanche un ingrédient incontournable : de bons acteurs ! » Confortablement installé dans son large fauteuil en terrasse d’un café parisien, David Moreau, la mèche rebelle et la clope au bec, lâche cette phrase d’un air assuré. Ce réalisateur et scénariste en est sûr : l’alchimie entre les acteurs est la clé de la réussite de toute scène de sexe qui se respecte. Mais pas seulement. Lorsqu’on lui demande quelle scène de sexe l’a le plus marqué, le quadragénaire répond sans hésiter une seule seconde : « Le strip-tease dans 9 semaines 1/2 ! Pour moi, ce film, c’est un peu un 50 nuances de Grey version rétro... Donc forcément mieux ! Je n’avais que 10 ans quand il est sorti. Je l’ai regardé en cachette un soir où mes parents étaient sortis et où notre nounou était plus occupée à se faire les ongles qu’à nous surveiller... (rires) Et c’est resté l’un de mes films préférés, même si j’ai carrément honte de le dire. Car il faut l’admettre : hormis cette scène, c’est un sacré navet ! »

Pour David Moreau, si les scènes de sexe, explicites ou non, nous marquent autant, c’est en partie parce que nous y sommes confrontés dans notre jeune âge. « Je ne suis pas psy. Mais je pense que les scènes de sexe font partie de notre inconscient collectif. Elles façonnent ce que nous sommes en tant qu’adultes sexuellement actifs. La plupart d’entre nous, surtout l’ancienne génération, ont découvert le sexe - et la sexualité en général - au cinéma. Comment on embrasse ? Comment on touche ? Comment on caresse ? Autant de questions dont les réponses se trouvaient autrefois sur grand écran. » Pourtant, le réalisateur regrette que les jeunes fondent aujourd'hui davantage leur éducation sexuelle sur la pornographie. « Les codes ont changé, et c’est bien dommage, car le sexe au cinéma renvoie à une certaine forme de réalité, propre à l’histoire des personnages, bien sûr. Le porno, lui, n’a aucune forme de rapport avec la réalité. »

Un avis partagé par Patrice Gravereau, psychologue : « Les jeunes d’aujourd’hui ont tendance à reproduire le schéma pornographique dans leur vie intime. C’est tout à fait normal : ils n’ont qu’à aller sur internet pour accéder en illimité à du contenu pornographique en quelques clics. Et c’est le seul “mode d’emploi" qu’ils aient. C’est pourquoi je trouve intéressant que les réalisateurs de cinéma non-pornographique mettent en scène de beaux moments d’intimité. Ces scènes se rapprochent beaucoup plus de la réalité et donnent aux jeunes adolescents un exemple plus réel de ce à quoi peut ressembler la “vraie” sexualité. »

Mais pour le thérapeute, le souvenir que l’on garde d’une scène de sexe dépend avant tout de notre vécu, de notre histoire personnelle. Selon lui, deux personnes peuvent très bien regarder la même scène et en conserver un souvenir tout à fait différent : « L’un va se souvenir d’une atmosphère, d’une ambiance, tandis que l’autre va au contraire se rappeler d’un moment précis... On ne peut pas faire de généralités sur cette question. C’est en fonction de son propre étayage psychique - comment s’est construit votre personnalité sur cette question de la sexualité - que chacun gardera un souvenir bien précis. »

Lorsque l’on pose la question à Valentin Michele, jeune compositeur, il prend tout d’abord quelques secondes de réflexion. Puis finit par se lancer : « Ce qui est assez magique avec la musique, c’est qu’on peut réaliser une scène de sexe sur plein de rythmes différents. Une musique jazzy ou soul renverra à un rapport sexuel langoureux et romantique ; un rock endiablé mettra en lumière un rapport plus bestial, physique ; une musique classique ou d’opéra renverra à une scène de sexe plus poétique... » Selon lui, la musique va faire qu’on se rappelle d’une scène - ou pas.

« Prenez la scène d’amour de Top Gun : je ne suis pas sûr qu’elle serait aussi mémorable sans Take My Breath Away en fond sonore. » Et pour Valentin Michele, le phénomène inverse est également possible. « Une scène de sexe particulièrement mémorable peut contribuer à rendre une musique célèbre. La corrélation entre la musique et le sexe est de toute façon particulièrement évidente. Même dans la vie de tous les jours : nombreux sont les couples qui mettent de la musique pour faire l’amour. » 

Geneviève Sellier, historienne du cinéma et spécialiste des représentations des rapports sociaux de sexe sur grand écran, partage l’avis du compositeur. Cependant, elle met également en exergue le rôle tout aussi déterminant... du silence. « Une scène de sexe peut être tout aussi mémorable parce qu’il n’y aura justement pas de musique. Je pense par exemple aux sept minutes de sexe lesbien de La Vie d'Adèle. On n’entend que des bruits très suggestifs : les respirations des deux actrices, des bruits de succions, des gémissements, des fessées... Cela va en gêner certains, en exciter d’autres. Cela contribue à rendre la scène encore plus sexuelle, encore plus intense - et donc mémorable. »

Mais l’historienne du cinéma pointe également du doigt un élément non négligeable : la notoriété des acteurs. « Il faut arrêter de se voiler la face. Plus les acteurs sont connus, plus on va se rappeler d’une scène de sexe. Le degré de notoriété des acteurs ne fait pas tout, mais il contribue grandement au souvenir qu’on va garder d’un film et de certaines scènes un peu chaudes. » Geneviève Sellier cite en exemple la scène osée de Basic Instinct : « Ce n’est pas une scène de sexe à proprement parler, mais dans la scène du commissariat, on voit quand même le sexe de Sharon Stone. Si cela avait été n’importe quelle actrice lambda, personne n’y aurait prêté plus d’attention que cela. Mais vous filmez ce qui se passe sous la jupe d’une des actrices les plus bankable d’Hollywood et bam : le scandale éclate - tout le monde en parle, et tout le monde s’en souvient. »

Mais s’il y a bien un point sur lequel tous s’accordent, c’est que l’on se rappelle particulièrement d’une scène de sexe... justement parce que c’est du sexe. « Nous sommes tous un peu obsédés sexuels ! » balance le réalisateur David Moreau en gloussant. « C’est bateau, mais le sexe fait vendre, c’est bien connu » ajoute le compositeur Valentin Michele. Et même pour le psychologue Patrice Gravereau, cette simple raison pourrait se suffire à elle-même : « Il faut arrêter de chercher midi à quatorze heure. 80% de la population sera plus encline à se rappeler d’une scène de sexe torride que d’un dialogue émouvant. Parce que c’est physique, que ça fait appel à l’instinct, au côté animal qui sommeille en chacun de nous. Le sexe intrigue les enfants, fascine les adolescents, émoustille les adultes... Il touche tout le monde. Alors forcément, on s’en rappelle ! »

« 80% de la population sera plus encline à se rappeler d’une scène de sexe torride que d’un dialogue émouvant. Parce que c’est physique, que ça fait appel à l’instinct, au côté animal qui sommeille en chacun de nous. »

Tina Duarte-Monteiro

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kim basinger dans 9 semaines 1/2

Et vous, quelles scènes vous ont marqué ? 

Patrice Gravereau