Made with racontr.com
alt

Sex-files : aux frontières du légal

Du sexe, de la violence, de la drogue. Passer une soirée au cinéma, c’est parfois avoir l’impression que notre société autorise tout type de débauche, de films anxiogènes montrant piqûres, cachets et autres acides comme Requiem for a dream, à d’autres, ultra-violents comme American History X. Tous ont un visa d’exploitation les autorisant à être vu par des mineurs, mais le sexe lui, reste un tabou. Nom d’un petit bonhomme, mais pourquoi les amis de Gaspar Noé se retrouvent-ils la bride serrée ?

 

« S’teuplait maman, on ne peut pas aller voir Deadpool ? » « Non mon chaton, tu sais bien qu’il est interdit au moins de 12 ans, et tu n’as pas l’âge ! ». Et non Romain, tu n’as pas encore l’âge d’aller voir ce film de super-héros au cinéma. Comme bon nombre de tes copains qui passent du temps sur leur ordinateur, tu attendras qu’il sorte en téléchargement illégal ou en streaming. Et si tu as des réclamations à faire, il faudra s’adresser à 25 personnes. 25 fourmis ouvrières au travail essentiel, réunies deux fois par semaine dans un petit cinéma plongé dans les entrailles des locaux parisiens du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Plus qu’un petit cercle des cinéphiles disparus, ce groupe est en fait la Commission de classification du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC). Ce sont eux qui décident des films qui passeront à l’écran. L’organisme visionne en son antre tous les films demandant à être exploités en salle, et appose une recommandation allant de « tout public » aux traditionnels  « -12 ans », « -16 ans », « -18 ans » et « classé X » à l’issue de la séance. Ce vote, réalisé à bulletin secret, n’est en réalité qu’une recommandation. Car le vrai Big Brother, c’est le ministère de la Culture.






Une classification pour le moins aléatoire






 « Il faut à la fois respecter la création et la liberté du cinéma, mais également de l’autre côté la protection de l’enfance. On est vraiment sur un exercice de conciliation. Il n’y a pas de règles. » À écouter les explications de Mélanie Fourgous-Benoist, membre de la Commission, le problème prend tout son sens. L’assemblée, composée de professionnels du cinéma, de jeunes -18 à 24 ans -, mais aussi de représentants de différents ministères, sait-elle vraiment ce qu’elle fait ? Premier ordre de mission : alerter le ministère sur les caractères sensibles d’une oeuvre comme la violence, la drogue, les comportements dangereux ou thèmes difficiles comme le suicide, la mort, l’inceste… et bien sûr le sexe.































Mais pour qu’un film soit réellement interdit à une certaine catégorie d’âge, l’appréciation tient de la nuance. Les textes du CNC indiquent d’ailleurs que pour être tamponnée « -18 », l’oeuvre doit aborder « des scènes de sexe non simulées ou de très grande violence mais qui, par la manière dont elles sont filmées et la nature du thème traité ne justifient pas un classement X ». De fait, des films comme La Vie d’Adèle, Romance, L’Inconnu du lac, comportant des scènes de sexe non simulées ne se sont pas vu interdire aux mineurs, mais simplement aux moins de 16 ans. « En art comme en amour, seul l’instinct suffit » disait Anatole France. Problème justement, les limites entre beau et provocation font débat.


























































     



                                                                            

La bataille pour l’artistique






150 ans après L’origine du monde de Gustave Courbet, les représentations sexuelles ont toujours du mal à être considérées comme des œuvres artistiques à part entière, et certains l’ont bien compris. L’association judéo-chrétienne Promouvoir, menée par l’avocat André Bonnet, s’attaque à de nombreux films pour faire réviser leur visa d’exploitation. Et au nom de la défense des valeurs familiales, monsieur Bonnet est efficace. La Vie d’Adèle, Baise-moi, Love, Antichrist… Sous couvert d’un principe de précaution culturelle, Promouvoir traîne avec une redoutable efficacité ses victimes devant les tribunaux administratifs, afin de changer leur classification. Son leader lui, s’érige en porte-à-faux d’un futur « monstrueux » dans lequel la jeunesse serait pervertie par la pornographie : « On va avoir un 1984 ou Le Meilleur des mondes » prédit-il. Un constat alarmiste et une stratégie basée sur une application scrupuleuse des textes qui secoue le petit monde du cinéma avec une force écrasante depuis quatre ans. Car si le CNC et le ministère s’efforcent de privilégier la création artistique, André Bonnet a les textes pour lui. Et les victoires.




































Alors quelques mois avant son éviction du gouvernement, Fleur Pellerin en avait fait l’un de ses chevaux de bataille. Objectif : limiter le nombre de bobines au placard. Face à Yann Barthès, dans Le Petit Journal du 8 septembre 2015, la ministre annonce la révolte : « Nous sommes en train de voir avec les personnes qui s’occupent de classifier les films pour faire évoluer les choses. En respectant évidemment la protection des mineurs ». Et lorsque le taquin présentateur lui souffle « en tout cas il a gagné (André Bonnet, ndlr)» , Fleur Pellerin rétorque tout de go : « en tout cas ça va changer ».






L’État contre-attaque






La France, censeur de ses artistes ? Que nenni. Pour Marc Le Roy, docteur en droit public et spécialiste du droit du cinéma, « La France est l’un des pays, si ce n’est le pays, le plus souple au niveau de la réglementation ». Alors avant de tirer sa révérence, Fleur Pellerin avait dépêché dans un quasi-anonymat un rapport censé faire avancer la législation : signé du nom de Jean-François Mary, président du CNC, il a pour objectif premier d’introduire l’idée même de protectionnisme artistique. Concrètement, l’idée est de ne plus systématiquement classer « -18 » tous les films contenant du sexe non simulé. Dans les mois à venir, l’article R. 211 – 12 (régissant la classification des films dans le Code du cinéma et de l’image animée) pourrait donc contenir cette précision concernant l’interdiction : « lorsque l'œuvre ou le document comporte sans justification de caractère esthétique des scènes de sexe ou grande violence (…) ». Sans justification de caractère esthétique.
































Le projet est clair, mais la bataille est loin d’être gagnée. Qu’est-ce qu’une justification de caractère esthétique ? « Difficile de faire plus subjectif » lâche Marc Le Roy. Selon lui, le rapport est loin d’emballer le nouveau cabinet ministériel dirigé par Audrey Azoulay : « la ministre ne se presse pas, on aurait pu croire qu’il y ait eu une mesure réglementaire rapide pour appliquer la recommandation, mais rien n’a été fait. On se demande si le rapport ne va pas être mis aux oubliettes, ou servir à caler les meubles comme dans pas mal de cabinets ». Et d’enchainer : « si l’on supprime la catégorie -18 ans, cela supprime pas mal de contentieux, puisque Promouvoir essaye surtout de faire classer les films -16 en -18. Et puis soyons sérieux, les jeunes de 16 ans ont déjà tout vu, ils ont tout à disposition sur leur téléphone ». Court-circuiter l’association, pour faire disparaître le problème.






Une bagarre indispensable






Pourquoi cette guerre à la catégorie d’âge ? L’argent ? Probablement, un film catégorisé -18 étant distribué dans moins et cinéma et touche en conséquence moins de recettes. Question de valeurs ? Beaucoup regrettent un système deux poids deux mesures. Andrew Eaton, producteur de 9 songs, en fait partie. Son oeuvre a été interdite aux mineurs, une mesure « motivée par de très nombreuses scènes de sexe non simulées (pénétration, éjaculation, fellation…) qui constituent l'essentiel du film, qui narrent les relations sexuelles d'un couple de jeunes adultes et qui sont associées, pour deux d'entre elles, à des prises de drogue ». Si le producteur comprend cette décision, il s’interroge : « Ça fait sens que dans notre société des films soient réservés à certaines catégories d’âge. Mais c’est injuste que cette société trouve les actes d’une extrême violence acceptables pour les jeunes, quand le sexe, la chose la plus naturelle au monde, ne l’est pas ». Alors quoi, censure ? « Allez voir en Chine ou en Iran pour savoir ce qu’est la censure cinématographique » s’agace Marc Le Roy. Ni censure, ni liberté totale. Un espace d’entre deux dans lequel le cinéma continue d’évoluer, parfois en provoquant toujours plus. Et qui n’est pas prêt de décider si, oui ou non Romain, tu peux aller voir Deadpool avec tes copains.

« Allez voir en Iran ou en Chine ce qu'est la censure cinématographique  »

alt

Marc Le Roy 

Juriste spécialiste du droit du cinéma

alt
alt

« Nous sommes en train de voir avec les personnes qui s'occupent de classifier les films pour faire évoluer les choses »

Fleur Pellerin, alors ministre de la culture

Andrew Eaton, producteur

« C’est injuste que cette société trouve les actes d’une extrême violence acceptables pour les jeunes, quand le sexe, la chose la plus naturelle au monde, ne l’est pas »

Anthony Audureau

alt
alt