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Les 7 péchés capitaux 

À quoi ça tient, un bon film ? De bons acteurs, un bon scénario et souvent, une bonne histoire d’amour. Mais dans le grand jardin de la bobine, la scène de sexe est-elle plutôt pot de fleur ou chêne centenaire ? Élément de décoration ou rouage majeur de l’intrigue ? Lever de rideau en 7 points, de Sean Penn à Woody Allen.

 

Elles étaient pourtant calmes, ces balades au grand air. La nature profonde et sauvage, des plaines désolées de l’Ouest américain aux déserts de glace de l’Alaska… et puis la solitude. Surtout, la solitude. Le temps de se recentrer, de noyer les démons pour faire grandir l’âme. Sur les routes, un homme et une femme, tout deux partis pour changer de vie. Le premier, Christopher McCandless, était un jeune universitaire en quête d’aventure, à la fois sociable et solitaire. En 1990, il quitte tout pour sillonner les espaces sauvages d’Alaska, vivant de chasse aux élans et de récolte de champignons, et dont l’histoire inspirera dix-huit ans plus tard Sean Penn pour son film Into The Wild. La seconde, Cheryl Strayed, une junkie accro au sexe et aux peines de coeur, s’envolait en juin 1995 pour parcourir les 1700 kilomètres du plus grand parcours de grande randonnée de la planète, le Pacific Crest Trail. De son épopée sortira un film, Wild, diffusé en 2015 au cinéma.

 

 

 

 

Deux bobines, deux histoires vraies, deux aventuriers esseulés, et, hasard ou non, deux histoires d’amour. Dans Wild, l’idylle sera consommée. Dans sa solitude, Reese Witherspoon - qui incarne Cheryl Strayed - trouvera un amant, duquel elle tombera amoureuse. Dans Into The Wild, le voyage d'Emile Hirsch - joué par Christopher McCandless - restera au contraire platonique, au grand désespoir de Kristen Stewart. Bon sang de pipe, comment, dans deux situations similaires, la présence ou non d’une scène de sexe peut-elle modifier le récit ? Comment peut-elle exprimer des émotions différenciées ? Et s’il n’existe pas de plan type, à quoi sert finalement le sexe au ciné ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Twist scénaristique

 

 

 

 

 

« La scène peut servir à quelque chose d’un point de vue dramatique ou parfois ne servir à rien. Il y a deux scénarios : dans le premier ça y est, les deux personnages ont couché ensemble, c’est nouveau. Dans le deuxième, cela a lieu habituellement, mais cela a lieu ce jour-là d’une façon qui fait avancer l’histoire : ils s’engueulent, c’est beaucoup mieux que d’habitude, elle apprend un secret. Là, le réalisateur veut nous apprendre quelque chose. » Pour Murielle Magellan, auteure et scénariste de Sous les Jupes des Filles (2014) de la réalisatrice Audrey Dana, le sexe au cinéma est tout simplement un « passage obligé » dans la progression du récit : « Il y a quelque chose de presque moderne dans le fait de montrer la sexualité. Cela reste du domaine de l’audace. Les cinéastes se trompent peut-être en montrant cela mais si on le fait pas, on reproche de ne pas oser le sujet. » Montrer une scène d’amour, c’est donc répondre à une attente. Le fameux désir du public, l’appel de la nature. Le sein de Mila Kunis dans Black Swan. Le pectoral de Brad Pitt dans Fight Club. Le fessier de Hugh Jackman dans X-Men 2. « Mettre une scène de sexe dans un film est toujours une façon d’aguicher le public, ça continue d’exister, s'exalte au téléphone l’historien du cinéma Jean-Michel Frodon. Il suffit de voir le nombre de gens qui utilisent internet pour voir ce genre de choses. C’est bien de respecter les sens, mais il faut aussi les questionner : pourquoi ça pose problème ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Murielle Magellan, loin de trahir sa profession lorsqu’on lui demande si les scénaristes manquent d’inspiration, réplique au contraire avec sagacité : « C’est peut-être un manque d’imagination du public qui ne demande que cela ! On se renvoie la balle chacun notre tour. On me demande d’écrire une scène de sexe, quelques fois sur le papier on ne voit pas très bien à quoi elle va servir, mais le réalisateur pense en jeu d’acteur. On verra des personnages qui se livrent. Dans l’intime. » Car au-delà du simple désir marketing d’annoncer une relation dans la bande-annonce, l’amour au cinéma permet surtout de matérialiser concrètement une relation amoureuse. L’annotation peut paraître évidente mais elle reste capitale, comme le confirme l’actrice Mélanie Thierry, encore échaudée par une interview tendue avec Yann Moix dans l’émission On n’est pas couché du 19 mars dernier : « La scène de sexe sert encore à quelque chose, bien sûr. Mais tout dépend de comment elle est filmée et comment elle est défendue. Pour les scènes gratuites, on se dit que ce serait bien de passer à autre chose. En revanche les scènes où deux protagonistes s’unissent pour entériner leur histoire d’amour, on a envie de les voir. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De l’intime naît la beauté

 

 

 

 

 

Plus qu’une émotion positive, la scène de sexe sert également parfois à exprimer la déchéance d’un personnage. La perdition mentale, la folie du cygne blanc de Black Swan, Nathalie Portman perdant la tête lors d’une scène lesbienne avec Mila Kunis. Pour Mélanie Thierry, « c’est à la fois tumultueux, passionnant, brûlant, c’est dangereux. C’est excitant et c'est quelque chose qui nous dresse les poils. Moi ça m’embarrasse, ce n’est pas ce que je préfère voir au cinoche. Cela peut exprimer quelque chose de dérangeant pour le spectateur. » Un avis partagé par Daniel Chocron, auteur de Toute l’histoire du cinéma pour les débutants et habitué des rendez-vous au McDonald, qui invite à se tourner vers le cinéma japonais pour puiser l’essence de la scène de sexe : « L’Empire des Sens est un des plus grands films du XVIe siècle et raconte quand même l’histoire d’un propriétaire d’auberge qui viole quasiment sa servante ! Les scènes de sexe sont non-simulées, mais c’est filmé avec un tel talent que le poison tutoie la beauté… » Voilà donc le cinquième point. La scène de sexe peut donc révéler un tournant de l’histoire, répondre à une attente du public, représenter une relation positive ou destructrice, mais également le talent d’un réalisateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Les scènes de sexe sont un marqueur de la sensibilité d’un metteur en scène, la plupart filment de la boucherie », s’agace Jean-Michel Frodon. Catherine Breillat au contraire, est un exemple, avec Une vraie jeune fille ou Romance. C’est révélateur de la qualité d’un regard. La réalisatrice française, vilipendée en 1999 pour Romance, décrit par la presse comme de la « pornographie artistique », se défendait à l’époque dans le magazine Premiere : « Je ne veux pas faire un film porno, c’est la négation totale du rapport humain. N’importe quel réalisateur souhaite filmer un homme et une femme faire l’amour. Quand vous filmez la scène, vous réalisez que l’acte sexuel est quelque chose de tabou, quelque chose de très métaphysique. » De fait, montrer le nu au cinéma provoque toujours un élan critique hémiplégique. Kechiche, génie ou pervers ? Breillat, artiste ou pornographe ? Murielle Magellan, plus philosophe : « Un bon réalisateur rendra utile une scène que vous trouvez inutile à l’écriture. »

 

 

 

 

 

 

Le sexe, c’est la vie

 

 

 

 

 

 

La scène de sexe, au-delà des six points abordés précédemment et de l’éventuel ressort burlesque qu’elle peut représenter - exemple avec American Pie, Les Beaux gosses (2009) de Ryad Sattouf, Les Infidèles (2012) ou même certains plans de la trilogie Very Bad Trip -, est avant tout un moyen de montrer le réel. Tout comme la mort, la guerre, les drames, les pleurs, les joies, le sexe rejoint la réalité du spectateur et justifie sa présence par son essence même : le sexe, c’est une partie de la vie. Là se situe « le rapport humain » décrit par Breillat. Un film sans sexe ne sera pas forcément plus pudique, tout comme les longs regards échangés par Emile Hirsch et Kristen Stewart dans Into The Wild laissaient entrevoir une lueur de désir au moins égale à bien des scènes de nu. Pourquoi montrer ? Pourquoi ne pas le faire ? La question est finalement anecdotique face au phénomène. La preuve ? « Je ne connais pas la question, mais le sexe est définitivement la réponse ». Même Woody Allen ne sait plus quoi dire.

 

 

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« Le réalisateur pense en jeu d’acteur. On verra des personnages dans l’intime, qui se livrent. »

Murielle Magellan, scénariste

« Une scène de sexe, c’est toujours un moyen d’aguicher le public »

Jean-Michel Frodon


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« L’Empire des Sens est un des plus grands films du XVIe siècle et raconte l’histoire d’un propriétaire d’auberge qui viole quasiment sa servante ! Mais c’est filmé avec un tel talent que le poison tutoie la beauté… »

Daniel Chocron

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Théo Denmat

Le cinéma japonais est considéré par beaucoup comme un exemple dans l’évocation de la scène de sexe, dans un style décrit comme particulièrement artistique, chaste, parfois à la limite de l’ésotérisme.


Mais sous ses airs puritains, la filmographie nippone s’est longtemps nourrie des créations sexuelles de ses metteurs en scène, à travers quatre mouvements majeurs : le Taiyozoku, La Shochiku - apparentée à la Nouvelle Vague française - La Nikkatsu et la Diaei. Un point commun les relie toutes : le sexe et la violence. La faute à deux phénomènes propres au Japon et très peu abordés dans une société prude : la mafia yakuza et les Geishas. Shohei Imamura, réalisateur phare de La Nikkatsu, déclarait d’ailleurs à ses débuts : « Je veux marier de toutes mes forces ces deux problèmes : la partie inférieure du corps humain et la partie inférieure de la structure sociale sur laquelle s'appuie obstinément la réalité quotidienne japonaise. » Dernière info : en 2014, l’industrie du film porno japonais pesait 20 milliards de dollars, soit plus du double de l’industrie américaine…


Mais alors, en résumé, à quoi ça sert ? 

Tournant de l'intrigue 

Attente du public 

Représenter une histoire d'amour

Jauger un réalisateur 

Représenter la déchéance psychologique 

Ressort burlesque


Plongée dans le réel

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Brad Pitt, aka Tyler Durden dans Fight Club

 

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