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Débats d'ébats

 

Si certains spectateurs se réjouissent de voir des acteurs accéder au septième ciel à l’écran, d’autres préféreraient au contraire se cacher vingt mille lieues sous leurs sièges. Pourquoi les pellicules bouillantes nous font-elles rougir ? Nos émotions passent aux rayons X.

Des baisers appuyés, des caresses explicites, des étreintes passionnées et un silence gêné s'installe dans la salle... Si les sentiments sont la plus belle histoire d’amour du cinéma, le sexe est sans aucun doute son meilleur ennemi. Suggéré, on s’accorde même le plus souvent à lui trouver un aspect artistique ou esthétique. En revanche, dès lors qu’il est montré, le débat est tout de suite plus animé, le problème n’étant donc pas le « combien », mais plutôt le « comment ». Car certains n’hésitent pas à mettre le holà à des scènes qu’ils estiment trop « olé olé »…

 

 

 

 

 

Entre pudeur et voyeurisme

 

 

 

 

 

Pour Patrice Gravereau, psychologue, ce sentiment de gêne vis-à-vis du sexe au cinéma est intrinsèquement lié au principe même du septième art : « Aller au cinéma, c’est se retrouver dans la position forcée du voyeuriste. Le spectateur se retrouve, comme un voyeur, à observer l’intimité de deux personnes réelles ». Un sentiment inconfortable confirmé par Guillaume Loison, journaliste à l’Obs : « le sexe à l’écran renvoie à l’intimité du spectateur : le film lui soumet la représentation achevée d’un fantasme issu d’un autre cerveau, construit par un regard étranger au sien ». Une gêne amplifiée quand la scène de sexe est inattendue. Le mieux, selon Patrice Gravereau « c’est de s’y préparer ». En somme, c’est une question de préliminaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Outre la position de voyeur dans laquelle se retrouve le spectateur, c’est aussi sa pudeur qui est mise à l’épreuve. « Être pudique, c’est un réflexe humain. L’enfant intègre le principe de pudeur et d’intimité vers six ans. À partir de là, voir un corps nu rompt la barrière et le malaise peut s’installer  », explique le psychologue.

 

Finalement, si certains préféraient fermer les yeux pendant que Shia LaBeouf fait l'amour à sa partenaire Stacy Martin dans Nymphomaniac, c’est peut-être une question d’intimité. Oui, selon Patrice Gravereau, à partir du moment où c’est intime, « cela ne peut pas ne pas nous toucher ». Le problème de l’intimité, c’est quand on doit la partager. Regarder La Vie d’Adèle en solo, ce n’est pas pareil que de voir le film assis entre papa et maman. « Voir une scène de sexe en présence des parents ouvre un espace de l’intime que peu d’entre nous sont capables d’appréhender sereinement » explique Anne Billard, sexologue. D’après les sondages personnels de la spécialiste, seul un tiers des personnes interrogées parlent librement de sexe avec leurs parents « d’où la gêne à regarder ensemble un film avec une scène impudique ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

 

 

Un malaise partagé

 

 

 

 

 

 

S’il arrive que la gêne envahisse les spectateurs au fur et à mesure que la température monte dans les salles obscures, elle fait sa première apparition de l’autre côté de l’écran. En effet, les acteurs aussi s’y retrouvent confrontés alors qu’ils n’y sont pas préparés. « Une scène de sexe, ça ne s’apprend pas. Nous sommes tellement différents vis-à-vis de la nudité, de la sexualité qu’il n’y a pas de mode d’emploi », raconte Jules Simon, ancien pensionnaire du Cours Florent. « Le plus dur c’est de paraître aussi à l’aise que dans l’intimité alors qu’une caméra est braquée sur vous. Un dialogue n’a rien d’angoissant, tout le monde nous entend parler. Le sexe en revanche, c’est personnel » raconte le jeune homme. Une difficulté à se mettre à nu confirmée par Léa, une de ses camarades : « La plupart d’entre nous préféreraient mourir que de se retrouver nus en public. Imaginez donc l’angoisse de se dire que cette scène pourra être vue et revue indéfiniment. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si dans cette école de formation au métier d’acteur il n’existe pas de cours spécifique pour ce genre de scène, un exercice sert tout de même à sauter le pas. « Je me rappelle d’un cours où on devait faire un strip-tease devant toute la classe. J’étais tétanisé avant de monter sur scène. Depuis, je suis plus à l’aise avec mon corps, j’ai confiance en moi. Jouer une scène de sexe ne me fait plus peur », explique l’acteur en herbe.

 

 

 

 

 

Entretien et transmission des tabous

 

 

 

 

 

Le sexe au cinéma attire les foules depuis ses origines, mais aussi les foudres des plus pudiques. Pour preuve, l’accueil houleux reçut en 1972 par Le dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci, et sa scène de sodomie restée à tout jamais dans les annales du cinéma. Rebelotte deux ans plus tard avec la sortie des Valseuses de Bertrand Blier, ou celle de 37°2 le matin en avril 1986.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« La gêne vis-à-vis du sexe au cinéma existe depuis toujours. Pour preuve, la pornographie est apparue très tôt dans l’histoire du cinéma et a toujours été considérée comme radicale, destinée à rester à la marge en termes d’exploitation et de considération populaire » explique le journaliste Guillaume Loison. Un genre qui s’est progressivement démocratisé permettant désormais d’aborder le sexe au cinéma plus librement. « Le genre pornographique est passé d’un ghetto semi-clandestin à une industrie massive dont le cinéma d’auteur s’est même souvent ouvertement inspiré – des films de Gaspar Noé à ceux de Bruno Dumont en passant par Lars Von Trier », poursuit le spécialiste.

 

Pourtant, paradoxalement, le sexe gêne encore aujourd’hui, à l’époque d’une société considérée comme hyper-sexualisée. Si le sexe est partout, on n’en parle que très peu. Preuve, selon Anne Billard, que « la libération sexuelle des années 70 a provoqué une révolution dont on ne ressent pas les conséquences ». Selon la sexologue, pour ne plus que le sexe au cinéma gêne, il faudrait atteindre une maturité sexuelle « qui rendrait alors la scène agréable d’un point de vue esthétique et cinématographique ».

 

Pour se faire, la spécialiste conseille de « libérer de notre communication sexuelle » dès l’enfance « en nommant et non pas en surnommant les parties génitales » des plus jeunes. Une étape cruciale pour se libérer de cette gêne qui nous submerge quand le cinéma enlève le bas. « Tant que le sexe ne sera pas accepté, il ne pourra qu’être source de malaise. La balle est aussi dans le camp des réalisateurs. Le sexe ne peut être bien accueilli que du moment où il est sublimé » conclut la sexologue. Preuve que tout l’art est de savoir filmer une scène sexe sans que l’on en fasse tout un cinéma.

Solène Quillot 

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Anne Billard

Sexologue

« Aller au cinéma, c’est se retrouver dans la position forcée du voyeuriste »



une partie de l'équipe de Nymphomaniac. Au centre, le réalisateur Lars Von Trier 

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Dans une société considérée comme

hyper-sexualisée, le sexe est encore un problème

« la libération sexuelle des années 70 a provoqué une révolution dont on ne ressent pas les conséquences »

« il y a une volonté d'imposer

la pornographie aux plus jeunes »


l’association qui a fait retirer le visa d’exploitation de La Vie d’Adèle n’aime pas les médias - « Ils ne font qu’attendre des dérapages » explique d’André Bonnet, co-fondateur de Promouvoir. D'abord réticent, échaudé par des expériences malheureuses, l'avocat de l'organisation aux « 500 adhérents et sympathisants » (selon des chiffres qu’il est le seul à posséder) accepte de nous rencontrer. Lorsque l’on souhaite s’assurer du lieu de rendez-vous, l’homme se dévoile déjà un peu en un message : « je n’ai qu’une parole », confirme-t-il. Celle d’un sexagénaire, père d’une fratrie de sept enfants et diplômé de philosophie avant tout, qui a fait de son quotidien une chasse aux films jugés trop violents ou sexuellement explicites, au nom des valeurs judéo-chrétiennes. 

Qu'est-ce qui vous gène dans les scènes de sexe ?

Nous sommes allés vous le demander ! 

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Patrice Gravereau, psychologue


Quand Maria Schneider, alias Jeanne dans le film, arrive pour un nouveau jour de tournage dans cet appartement donnant sur le pont Bir-Hakeim, elle n’est au courant de rien… L’idée de cette fameuse scène de sodomie germe secrètement entre l’acteur principal du film, Marlon Brando, et le réalisateur, Bernardo Bertolucci. Les deux comparses gardent le secret et omettent de préciser à la jeune actrice qu’une plaquette de beurre est sur le point d’être détournée de son usage traditionnel, pour donner naissance à cette célèbre scène de « sodomie au beurre ». Un piège consciemment tendu par le réalisateur qui souhaite obtenir une réaction violente de la part de l’actrice, comme il l’expliquait à la télévision néerlandaise en 2013 : « Je voulais capter sa réaction en tant que femme, pas en tant qu’actrice. Je voulais qu’elle réagisse, pas qu’elle joue son humiliation et sa rage. Je voulais qu’elle la ressente. Quand la caméra viendrait sur elle, qu’elle crie "non, non" » Pari réussi. A vouloir le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière, Bernardo Bertolucci traumatise l’actrice. Si l'acte est bien simulé, les larmes et l’état de choc de l'actrice sont réels. Maria Schneider avait déclaré après-coup s'être sentie totalement humiliée par cette scène, ayant eu l'impression d'être victime d'un viol. Une souffrance qui s’est transformée au fil des années en rancoeur tenace puisque l’actrice n’a jamais pu pardonner cette scène au réalisateur. A la mort de l'actrice en 2011, Bernardo Bertolucci avoua regretter de ne pas lui avoir présenté des excuses. : « Je me sens toujours très coupable. Je ne regrette rien, mais je me sens coupable. Vous savez pour faire des films, pour obtenir quelque chose, je pense que vous devez être totalement libre. Elle m’a haï toute sa vie à la suite de cela, moi et Marlon. Terriblement. »

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